Convoquer la nature : l’art d’Anne-Laure H-Blanc

 

 

 

 

Anne-Laure H-Blanc est une artiste qui travaille au plus intime de la nature. Non devant la nature, comme un peintre de paysages, ni en la prenant à bras le corps, comme un artiste pratiquant le Land Art, mais en commençant par arpenter, ressentir, humer le ciel, les herbes, le vent, les cours d’eau, les bruissements qui évoluent autour d’elle, que l’artiste soit chez elle, en Isère, ou ailleurs, en résidence. Toute son œuvre s’y consacre, jusqu’aux travaux les plus récents, sous les apparences de fourrés, de branches, de reflets et parfois de traits et de figures qui avoisinent l’abstraction. Ce qu’elle y recherche n’est pourtant pas immédiatement visible, ce ne sont ni les couleurs, ni la lumière pour sa clarté, ni l’agencement des formes. Cela appartient à l’ordre du fugace, du mouvant, du quasi impalpable, du ténu.

Ainsi la série des Lignes d’ombres, peintures aux couleurs fluides et transparentes, où l’on voit transpercer, sous un fin glacis, le dessin de formes végétales. Il s’agit là en fait du report d’ombres de pins qui sont venues préalablement se dessiner sur le papier et que l’artiste a saisies, au fil des heures, en adaptant son propre geste à l’impermanence du sujet. L’artiste n’a pas reproduit : elle a laissé la nature s’inscrire d’elle-même sur la feuille et en a simplement retenu la trace. Tels les rayogrammes de Man Ray, Anne-Laure H-Blanc a capté un fantôme : la persistance lumineuse des choses.

L’espace de la feuille n’est donc jamais chez elle le support d’une représentation. Il est plutôt le lieu où se révèle ce qu’on n’aurait pu voir sans lui : une ombre, par exemple, ou un halo de lumière —comme dans certaines peintures de la série Esprit du lieu —, ou encore ce blanc entre deux lignes qui est en réalité une matière vivante. Dans ses dessins au feutre, des tracés noirs affectent les formes de branches, d’herbages, de plantes aquatiques, qui apparaissent sur un fond blanc ; mais le blanc vit entre les lignes ; le tracé engendre l’espace, comme l’espace, le tracé. Cet espace blanc, loin d’être vide, est gonflé d’une vie encore en attente.

Autour de l’artiste, comme dans l’espace de la feuille, tout est flux constant. Dans la série intitulée Where the sea used to be, les couleurs liquides se superposent, s’interpénètrent. Elles ont l’apparence glauque du fond d’un étang ou d’un ciel mouvementé. Des gouttes de pluie s’y mélangent, car l’artiste laisse aux éléments naturels la possibilité d’intervenir. Ainsi est-elle l’orchestratrice d’une œuvre dans laquelle les fluides et les courants prennent une part active.

Dans Natura naturans, sa dernière série en date, les éléments végétaux foisonnent sous l’apparence de tracés nerveux, vibrants, qui se rassemblent et se superposent comme par aimantation. Tantôt le noir tantôt le blanc jouent le rôle du pôle négatif, par opposition auquel le reste de la composition se charge en sève. Tout est affaire d’énergie : ce n’est qu’à cette condition qu’aura lieu la captation de ces fragments infimes, à l’apparence végétale, où se niche la puissance vitale de la nature. Tout est aussi affaire de temps : le travail est de l’ordre de la répétition et de l’attente — celui du moment où le geste, saturé, cède pour laisser la vie affluer. On pense aux peintures coréennes du courant nommé Dansaekhwa, où la répétition est méditation, tel un geste rituel qui permet de descendre à la source même de la création.

Car le propos d’Anne-Laure H-Blanc est de ne jamais se tenir au-niveau de l’apparence, mais d’aller chercher, au-delà, une fragilité et une résistance essentielles. Ainsi dans les dessins au carbone, où nous avons affaire à l’empreinte des formes et non à leur enveloppe première. Ainsi, aussi, ces peintures et ces dessins qui traquent, de l’autre côté de la surface de l’eau, les reflets ou les silhouettes insaisissables de la végétation subaquatique. La nature est habitée, et c’est cette présence que l’artiste invite, sur le support-réceptacle, avec un geste qui ressemble à une convocation magique : se recueillir, se laisser conduire par ce que dictent les potentialités du vide, accueillir ce qui arrive. Ainsi peuvent surgir ces traces qui sont herbes, éclairs ou racines, anthologie minutieuse de formes vivantes.

Anne Malherbe, critique, historienne d’art