Du versant de l’ombre

“Du versant de l’ombre” Anne-Laure H-Blanc nous rapporte des univers fluides, brumeux, aquatiques ou montagneux. Dans une lueur toute matinale ou à la tombée du jour, aux premières ou aux dernières lueurs… Nous ne savons plus. Peu importe. C’est à un temps de pause et de silence que l’artiste nous invite. Bien loin du spectaculaire et du grandiloquent, elle dessine un paysage évanescent, mais tangible. Les lignes marquées par la lisière des forêts, les berges des lacs et les cimes des collines s’épuisent et se confondent. Ce sont les reflets, les lumières, les dissolutions de couleurs qui rendent vivantes ces contrées. C’est souvent un éclat à peine plus intense, une teinte légèrement plus prononcée, qui attirent et marquent la porte d’entrée vers un espace de voyage. Notre regard peut alors parcourir ces marécages, ces vallées, ces étangs. Notre émotion peut se libérer dans la fusion et les entrelacs des nuances, dans la magie et le mystère des formes, connues et rassurantes, parfois aussi inquiétantes dans leur trouble. Anne-Laure H-Blanc révèle ici une relation forte et essentielle au paysage. Un passage obligatoire vers un territoire à la fois universel et intime. En permettant à notre œil un voyage libre à l’intérieur du cadre, elle nous autorise le temps d’un retour sur soi. Nous éprouvons et (re)vivons des sensations, des émotions, oubliées, enfouies, latentes. Nous replongeons au cœur de cette relation viscérale à la nature. Nous sommes, au côté de l’artiste, dans le paysage. Il nous englobe. Il devient notre propre panorama intérieur. Nous y cheminons avec nos sens et en conscience. Nous en autorisons le temps. Le dialogue entre représentation et abstraction fait naître une dématérialisation, un questionnement de l’inconscient, un chemin vers une proposition, une approche du réel par la dématérialisation, ou plutôt la “rematérialisation”. Anne-Laure H-Blanc appréhende le paysage de manière profonde, au delà du geste artistique. Elle s’y dissout et nous invite à cette fusion dans une contemplation, voire une méditation. Son approche est avant tout sensorielle. Elle est bien sur visuelle, mais traversée aussi par des bruissements, des souffles, des parfums. Sa quête n’est pas celle de la beauté, mais celle de l’expérience, au delà de l’apparence. Elle est proche en cela du philosophe Roger Munier : “Est beau, non pas ce qui confirme, mais dissout l’apparence en sa fermeté, solidité, en son opacité aussi, la rend fluide. Et déjà la défait.” Ses compositions sont les trames sensibles et vibrantes d’une épreuve du réel. A travers son travail, Anne-Laure H-Blanc s’attache à mettre en relation la notion de “Landscape” (en anglais désigne le paysage que l’on voit, que l’on observe, celui aussi que l’on peint d’après nature) et la notion d’ “Inscape”. L’inventeur de cette notion, le poète Gerard Manley Hopkins, désignait ainsi le moyen de «se référer à la beauté des formes naturelles, à la façon dont elles se révèlent à l’observateur». C’est en alliant une grande maîtrise technique à la possibilité de l’accident et de l’aléatoire qu’Anne-Laure H-Blanc construit ses paysages, leur insuffle vie et mystère. Ils s’inscrivent, entre hommage et distance, dans la lignée millénaire des “Montagnes et rivières” des peintres de la Chine et du Japon. Son art de l’eau et de la couleur se matérialise par des lavis où couleurs et masses s’amalgament, se chevauchent et se contaminent. Les paysages qui se forment sont aussi les hôtes d’accidents picturaux aléatoires. Au gré des frottages, des effacements, des grattages imprimés par l’artiste, de nouveaux paysages se superposent aux premiers ou s’y substituent, voir se complètent. La perception se démultiplie, offrant une circulation libre à l’intérieur du cadre, ouvrant des perspectives au delà de celui-ci, une invitation à poursuivre son propre cheminement, la découverte de son propre territoire. “Du versant de l’ombre”, Anne-Laure H-Blanc tisse les fils physique, mental et émotionnel qui nous unissent à la nature. Liens que nous éprouvons au cœur même de celle-ci ou par son éloignement. Elle dessine une cartographie personnelle et nous encourage à écouter notre propre paysage intérieur à la lumière des siens.

Olivier Bourgoin, Octobre 2013, texte écrit à l’occasion de l’exposition Du versant de l’ombre