se dévêt pli selon pli la pierre veuve
Quelques propos sur les monotypes
d’Anne-Laure H-Blanc

 

“A des heures et sans que tel souffle l’émeuve
Toute la vétusté presque couleur encens
Comme furtive d’elle et visible je sens
Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve ”
In  Remémoration d’amis belges , Stéphane Mallarmé, 1893.

 

Le paysage est un tissu dont Anne-Laure H-Blanc avive les ondulations et le flottement, la géométrie et l’amplitude. Elle joue de ses formes comme elle le ferait de celles d’une étoffe précieuse.

Plier, déplier, replier.
Pli nervuré ou plat, pli large ou serré, pli couché ou espacé…
Replier, plier, déplier.
Pli grand ou petit, pli double ou rond…
Déplier, replier, plier.

Les plis du paysage sont ce qu’il a de plus insaisissable. Si Anne-Laure H-Blanc réussit à les re/présenter, c’est qu’elle connaît la montagne et les arbres, les animaux sauvages et les cascades. Elle aime la beauté éternelle des roches cristallines du Beaufortain, la force de la lumière prismatique qui attise l’été, la suavité des senteurs automnales de la forêt. Elle ressent visiblement le monde avant de le donner à voir.

“Les sentiers, les entailles qui longent invisiblement la route, sont notre unique route, à nous qui parlons pour vivre, qui dormons, sans nous engourdir, sur le côté” écrit René Char (La Parole en archipel, 1962). Les monotypes d’Anne-Laure H-Blanc tracent quelques-unes de ces “entailles” aux lignes fugitives qui scellent l’union de l’art et du paysage. Les parcourir signifie effleurer le monde avec la profondeur du regard et l’habileté du geste.

Quatre saisons,
jours et nuits,
vents et brumes,
relief et érosion,
griffure des hommes et des bêtes…

C’est la confrontation entre l’artiste éveillé au monde et le paysage saisi qui est en jeu et enjeu de l’œuvre.

Anne-Laure H-Blanc suggère au spectateur de pénétrer le paysage au pas de l’œil, dirais-je, c’est-à-dire sans thèse ni hypothèse, en marchant doucement, les yeux grand ouverts. Il traversera avec elle les pleins et les vides, les lointains et les proches, les reliefs transfigurés, presque intimes devenus.

“Je n’ai presque jamais cessé, depuis des années, de revenir à ces paysages qui sont aussi mon séjour.” écrit Philippe Jaccottet (Paysages avec figures absentes, 1964). Chaque monotype d’Anne-Laure H-Blanc est une carte singulière, une carte poétique et réalisée – au sens fort de “créée dans le rée ” – par la main de l’artiste et l’œil du regardeur. Si les paysages d’Anne-Laure H-Blanc sont le fruit de sensations éprouvées dans la nature, ils sont aussi, on le devine aisément, totalement ancrés dans sa subjectivité, au point de devenir les paysages intérieurs de son “séjour”.

Abstraction ? Sans doute. Mais une abstraction qui vit comme vit le paysage. De lignes en versants, de monotypes noirs en estampes colorées, j’y entends le craquement des branches que frôle le vent d’hiver, j’y sens les fleurs éphémères du printemps.

Les plis du paysage entraînent l’œil sans but. D’autant croiront y distinguer les “vivants piliers” du “temple” qu’est la nature baudelairienne (Correspondances, Les Fleurs du Mal, 1857). D’autres y ressentiront l’apaisant clair-obscur d’une chapelle romane perdue dans la vallée. Tous y entendront le silence pur. Ce silence est mouvement, imperceptible mouvement, celui de la lune comme celui, au lointain, de l’aiguille du Grand Fond presque effacée dans la brume.”Comme furtive d’elle et visible je sens / Que se dévêt pli selon pli la pierre veuve”… Le réel s’estompe. Le pli de l’espace, infini, est alors le temps même, suspendu.

Laurent Grison, Janvier 2012, texte écrit à l’occasion de l’exposition Paysages intérieurs