Il faudrait d’abord évoquer le travail de saisissement, de captation et de collecte auquel mon œil se livre en arpentant le Monde pour n’en retenir que ce qui fut : l’éphémère, l’infime et le presque rien. Parce que c’est dans cet interstice plus qu’ailleurs que se raconte sa fragilité. L’image dans son immédiateté s’inscrit sur la surface sensible de la rétine. L’image, présence, devient absence. Elle compose les strates de la mémoire pour constituer l’humus de ce qui un jour adviendra et s’incarnera. Commence alors le travail de ressouvenance.
Quel que soit le médium employé, mon travail est à considérer comme un instantané au sens photographique du terme : une superposition d’instants révélés, qui sont constitués à la fois d’instantanés de la mémoire et d’instantanés du réel. Je mets alors en œuvre un processus dans lequel il s’agit de faire trace : ressentir ce qui a été et faire surgir ce qui n’est plus. Empreintes, traits, lignes et graphies se matérialisent pour devenir motifs qui se répètent, se poursuivent, s’emboitent, font lien et sens en se nourrissant du précédent. Chaque intervention entre en résonance, se fait écho et strate dans le même temps ; archive intime et révélation tout à la fois, de ce qui fut.
Dans l’acte de recouvrir la surface, quelle qu’elle soit, il y a la volonté de dévoiler. Chaque geste accompli obéit à un rituel : frotter, essuyer, gratter, scarifier, griffer, imprimer, déposer, recouvrir, tisser, accumuler, mélanger, recommencer. Faire exister la trace / retrouver la trace, la substance même du Monde. Faire et refaire pour mieux saisir. Geste racine.
Dans chaque nouvelle image se superpose l’aura de la précédente et le germe de la suivante. Elles sont, non pas, pour reprendre les mots de Maldiney, des images de rappel mais d’appel, qui nous délient des évidences familières du bien connu et qui nous emportent au loin dans l’inconnu d’un autre Ouvert [1]. Elles constituent un regard sur le monde. Elles sont intimement liées à la vie.